Discussion nocturne [Teri]

“Un dicton vieux comme le monde…” Souffla-t-il en souriant, hochant positivement de la tête. “Et c’est exactement ça! Si je ne dis pas de bêtise, cela vient du Moyen- ge… À l’époque, c’était pour dire qu’un archer devait être paré à toutes les éventualités… En l’occurrence, d’autres cordes si celle de son arc venait à céder.” Il y avait bien des citations et des proverbes qui soulignaient la culture de sa langue natale et des multiples dialectes humains. Leurs origines en était toute aussi nombreuses. Il va toutefois de soi que Aidan était loin de toutes les connaître. Par chance, il avait de quoi apporter de l’eau à son moulin car son père lui a appris l’origine de cette expression lorsqu’il était enfant. Et comme tout savoir de son paternel, Aidan faisait en sorte d’en demeurer un porteur digne et respectueux du moindre enseignement. Sous un intérêt clairement visible, son fin rictus écouta mademoiselle Lynn lui rendre la pareille en tant que découverte des expressions de son peuple. La formulation était pour le moins intéressante, même si dans sa perception, il y verrait sans doute différentes nuances. Mais un débat idéologique et sémantique n’était clairement pas ce qu’il souhaitait réaliser ici-même. À sa place, il profita de cette formulation dans la langue natale de sa vis-à-vis, sourire intrigué, sans relever, avant qu’une nouvelle sonorité amusée ne quitte ses lèvres. “Oh non, croyez-moi!” Il secoue la tête afin d’accompagner ses propos. “On va dire qu’ici vous avez droit à la formule relaxante, déstressante et allégée de cinq heures du matin.” Il posa son regard en face du sien. “La prochaine fois, je pourrai vous montrer comment ça se pratique en situation réelle… Dans de… meilleures circonstances… ou peut-être plus appropriées…” Précisa-t-il, sans arrière pensée aucune. Est-ce que cela lui ferait plaisir? Bien évidemment et tout naturellement. Car c’est son style. C’est son style d’attaque. Son style de défense. Son style de combat. Ce sont tant les pieds et les poings d’Aidan que du Phantom qui s’animent lorsqu’il pratique ledit art. La seule chose sur laquelle il a un parfait contrôle pour l’heure. Ce contrôle qui rassure. Ce contrôle qui apporte un semblant de repère.

L’appréciation de ce moment se voulait subtilement perceptible chez notre cryogénisé. Malgré les cernes de son épuisement, le visage était plus lumineux. Pas rayonnant. Mais plus enjoué et plus rassurant à voir. L’utopienne était-elle parvenue à lui changer les idées, ou à lui permettre de se sentir un peu mieux? Volontairement ou non, oui. Elle avait réussi. Ne répondant que d’un nouveau hochement de tête au résumé de cette dernière, il partagea la touche de plaisanterie en sa compagnie, tout en laissant les mouvements et la démonstration se terminer dans une finesse plus prononcée qu’elle n’avait pu débutée. Il faut dire que sa dernière réplique n’engagea pas Aidan à poursuivre davantage. La fatigue aidant, le corps de notre ami s’immobilisa presque totalement sous un visage qui se penche, qui se baisse partiellement vers l’avant et le bas. Question sensible? Oui et non. Disons plutôt que c’est un souvenir qu’on ne peut effacer de sa mémoire et qui demeure. Que la sergente de l’UNISON s’en rassure toutefois! La face du trentenaire ne se teintait pas d’une allure dramatique et désespérée. D’autant qu’il ne pouvait s’empêcher d’avoir noté une information qui, sans qu’il ne cherche à comprendre ou à expliquer, lui faisait sincèrement plaisir. “C’est un plaisir partagé, mademoiselle Lynn.”

Dans l’immédiat, les intrusions de son hôte n'avaient pas encore dépassé un stade dangereux ou problématique. On peut même considérer que les sujets sensibles sont désormais habilement effleurés et sous-entendus pour ne pas s’y perdre encore et encore. “Une grenade.” Haussa-t-il les épaules, en la regardant. “C’était en territoire semi-ennemi. On était en train de se faire canarder. J’ai aidé un de mes camarades à se relever. Le temps de me retourner, j’ai vu un truc tombé et… BOUM! Je me suis réveillé quelques jours plus tard sur un lit d’hôpital…” Il l'exprime presque avec un détachement et une aisance pratiquement désarmante. Cela aide surtout à ce qu’on ne s'apitoie pas trop sur votre sort, selon lui. Ce n’est pas ce qu’il cherchait. Et même si l’empathie de sa référente pouvait se montrer des plus sincères, il ne cherchait nullement de la compassion ou de la pitié pour cet incident. Aidan ne l’a jamais vécu comme un échec : juste comme une réalité. Résilience de se dire que cela devait arriver. Qu’il avait au moins toujours ses membres. Et, surtout, que contrairement à tant d’autres, il avait pu finir cette guerre en vie. Même si, en parallèle, il y a cette colère de ne pouvoir être sur le champ de bataille auprès des siens. Un ressenti pour lequel il y avait largement prescription aujourd’hui. En revanche, il préférait taire ses cicatrices. Non pas qu’il en avait honte, non. Juste que, au final, à part les médecins de guerre, seule Morgane connaissait et avait vu ses cicatrices. C’était quelque chose… peut-être pas de secret… Mais d’intime en une certaine façon.

De son regard posé sur le sien, l’ancien Phantom n’était pas aveugle et percevait clairement cette fatigue toute autant accumulée chez celle qui s’était déplacée aux petites heures de la nuit pour lui. “Merci…” Oui, il ne pouvait faire autrement que de la remercier. “Je suis désolé de vous avoir réveillée en pleine nuit mais, merci d’être venue, mademoiselle Lynn…” Son fin sourire s'accompagne d’un léger hochement unique de tête. “Si jamais vous préférez rester ici pour dormir… Enfin, sans arrière pensée, je vous rassure…” Souffle-t-il avec un rire gêné mais relativement franc. “Non pas que je vous chasse mais… Je ne suis pas aveugle et je vois que les pancakes volants n’ont pas eu raison de notre manque de sommeil respectif!” Relève-t-il sur une touche d’humour plus appuyée. “En tout cas, je serais ravi de continuer à converser plus longuement à vous… mais dans des heures plus raisonnables la prochaine fois…”