Stupeur et tremblements [Raphael ♥ ]

Le tengu garda un stoïcisme inhumain. Cela n’était pas difficile lorsqu’il n’y avait aucun visage à étudier. Son attention alla de la femme possédée à son ami aux belles manières. Il pouvait reconnaître une menace, aussi déguisée elle était. Il aurait menti s’il avait prétendu n’avoir aucune raison personnelle de vouloir enquêter sur le trouble émanant de l’humaine aux cheveux sombres, mais son intérêt était sans malice. Il n’était pas suffisamment hypocrite pour aller contre les décrets d’Abe no Seimei et l’Archimage, même s’il n’avait jamais proprement rencontré ce dernier.

- Agréable de savoir que je peux toujours compter sur vos bonnes intentions, observa le dragon à voix basse.

Certains amis faisaient de bons alliés, prêts à défoncer toutes les épreuves. Même si la raison de leur première rencontre était plus étrange, voir amusante, Faelan avait bien fait de contacter le dieu des voleurs même si cela était loin d’être le but, à première vue. La pauvre, elle l’avait prise pour un beau fantôme venu lui faire la conversation.

Elle darda la main de la divinité d’un œil froid et elle osa hésiter, l’espace d’un instant. Ces deux messieurs lui demandaient de se rendre entièrement vulnérable et pas seulement qu’elle. Qu’allait-il arriver à Faelan dès que ses premières défenses allaient disparaître? Lentement, elle retira la fameuse bague-armure dans laquelle reposait son esprit. Elle considéra l’objet un instant avant de le tendre au-dessus de la paume de l’éloquent personnage.

- Vous faites bien, dit-elle simplement avant d’ouvrir sa main pour laisser doucement tomber le bijou dans le creux de sa main.

En quelques secondes, elle sentit son influence perdre le contrôle de la chair de la sorcière et elle retourna rapidement au repos. Le corps de Faelan eut à peine le temps de tituber que l’homme-oiseau devint immédiatement un nuage de fumée sombre et envahit immédiatement le corps dénué de conscience.


Le tengu se matérialisa facilement dans la psyché de la sorcière. Il fut immédiatement assailli par un malaise. Il n’avait pas possédé un être humain depuis des lustres, tellement longtemps qu’il n’avait même pas le souvenir de sa dernière victime de ce talent spirituel. L’esprit japonais se déplaça immédiatement dans le sombre inconscient de l’Irlandaise. Normalement, ce genre d’endroit était une réflexion de l’état psychique d’un individu, bien qu’il y ait souvent des exceptions à cette règle non écrite.

Il arpenta les alentours de son regard perçant et découvrit qu’il était effectivement cerclé par des murs de toute sorte. La créature passa une griffe sur l’un des murs recouverts d’un matière visqueuse et l’examina.

- Chi.

Du sang.

Le tengu tourna la tête dans une direction et emprunta cette dernière. Il était tellement à l’aise avec la douleur des mortels qu’il n’eut pas de mal à prendre le bon chemin. Lorsqu’il atteint la fin de son périple, elle débarqua dans un espace plus ouvert dans lequel reposait une image de Faelan. L’oiseau noir s’arrêta immédiatement et considéra longuement la silhouette perchée, immobilisée par de nombreux liens sombres. Il s’approcha prudemment, pensif. Une fois suffisamment prêt, il entendit finalement les voix sans genre dont ses collègues spirituels avaient mentionné un peu plus tôt.

Étrangement, les voix ne le dérangeaient pas plus que nécessaire. Il n’avait pas de mal à les effacer de son ouï. Ce qui le dérangeait énormément, cependant, étaient les liens qui retenaient la jeune femme en place. Ce n’était pas normal. Cette humaine n’avait pas l’air d’avoir plus de trente ans, alors comment pouvaient-elle posséder autant de liens karmiques à son nom.

- Ma pauvre étrangère, qu’est-ce qui a bien pu arriver dans votre vie pour être ainsi prisonnière du karma? Il dégaina son sabre machinalement. Vous allez souffrir, mais à long-terme, cela vous soulagera.

Il mania le katana avec aisance et trancha, sans plus tarder, les liens karmiques emprisonnant l’Irlandaise. Évidemment, ceux-ci ne seraient jamais anéantis complètement, mais elle était la seule qui pouvait consciemment s’en défaire complètement et ceci ne pouvait être fait que par un travail sur soi-même.

Le corps de Faelan continua de flotter, une aura empoisonné émanant de son être. L’homme-oiseau resta pensif un instant. Pour ce qui était du reste, il ne pouvait pas l’expliquer. Clairement, des forces obscures étaient à l’œuvre, mais difficile d’identifier son mal adéquatement. La créature allait seulement être en mesure de purger le mal pour un court temps, le reste devait venir de la concernée elle-même.

Le tengu traça un rectangle dans l’air et fit apparaître un ofuda sur lequel était inscrit quelques mots. Il plaça ensuite à la hauteur de Faelan, là où était situé son cœur. Il mania à nouveau son katana et le planta, sans hésitation, au travers du talisman, puis dans la poitrine de l’Irlandaise. Dissipe!

La sorcière rouvrit immédiatement les yeux, ainsi que l’ancienne créature qui ressentit immédiatement une douleur dans sa propre poitrine. Il baissa son regard sur la lame qui transperçait son corps. Il tourna la tête, simplement pour rencontrer les yeux sombres d’une ombre imitant plus ou moins sa silhouette. Et bien, voilà qui était intéressant.


À peine une minute devait s’être écoulée depuis le tengu avait envahi le corps de la sorcière avant d’être violemment expulsé dans le monde des vivants. Il reprit instantanément une forme physique et rattrapa immédiatement le corps rigide de Faelan avec son bras. Le tengu tituba un peu, bien qu’il fît de son mieux pour ne pas dévoiler davantage son mal. Il mit un genou à terre, tenant la sorcière entre ses griffes.

- Mon travail… est fait, souffla l’homme-oiseau.

Au même moment, l’Irlandaise rouvrit les yeux. Sa bouche remua légèrement, mais seuls des bruits étouffés en sorti. Elle plaça immédiatement une main sur sa poitrine et roula sur le côté. Si un cœur pouvait être brisé, au sens propre, c’était certainement cette sensation. Elle toussa.

- Ramenez cette humaine au temple, ordonna le tengu d’une voix un peu enrouée. Elle aura des effets pendant quelques temps. Il se redressa péniblement et se dirigea vers le kitsune endormi en chancelant, il attrapa l’esprit renard par le col d’une main, sans difficulté, l’autre main sur sa poitrine lancinante. Dites-lui qu’il serait mieux de raccourcir son séjour au Japon.

Le tengu n’attendit pas pour des commentaires, il se contenta de se transformer en courant d’air avec le kitsune et disparut sans demander son reste. Il n’avait pas besoin de dévoiler son moment de faiblesse à la forêt en entier.

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